Dans cet article, nous étudions le nouvel ensemble de règles en matière de lutte contre le blanchiment d’argent adopté par le Conseil européen en 2024 et son impact sur l’avenir de la conformité en Europe.
Depuis 1991 – date de la première directive visant à lutter contre le blanchiment et financement du terrorisme (LCB-FT) – l’Union européenne n’a cessé d’améliorer et d’harmoniser l’arsenal législatif de ses États membres. En l’espace d’une trentaines d’années, ce n’est pas moins de six directives dédiées qui ont vu le jour dans l’espace européen. À l’origine, la 1ère directive anti-blanchiment (AMLD) visait principalement à lutter contre les infractions liées à la drogue, tout en introduisant les premières dispositions de KYC. La 4ème et la 5ème directives (4AMLD & 5AMLD) ont ensuite introduit des obligations de transparence accrues, incluant l’accès aux registres des bénéficiaires effectifs et le renforcement des contrôles sur les transactions en monnaie virtuelle. Le périmètre s’est désormais largement élargi, puisqu’il couvre maintenant de nombreux domaines, allant de l’art aux crypto-monnaies.
Face à une activité criminelle toujours plus protéiforme, la Commission européenne présentait le 20 juillet 2021, un ensemble de propositions législatives visant à renforcer les règles de l’UE en matière de LCB-FT. Nommé « AML package » ce projet vise à combler les lacunes réglementaires, à renforcer la coopération entre les États membres et à garantir une application uniforme des règles dans l’ensemble de l’UE. Le Conseil européen a adopté le 30 mai 2024 ce nouvel ensemble de règles.
Le package AML est en passe de devenir un véritable modèle pour le secteur bancaire. Il offre une uniformité et une application efficace des exigences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Cependant, les réglementations sont souvent teintées d’une réputation quelque peu négative, car leur forme finale peut étouffer l’innovation, plutôt que de protéger les personnes qu’elles prétendent servir.
« Cela permettrait de mieux garantir des conditions de concurrence plus équitables à la fois pour les services traditionnels aux côtés d’industries à croissance rapide telles que la crypto, la blockchain et les processus de vérification de l’identité numérique basés sur des cadres plus sécurisés. Si ces points sont harmonisés et mis en œuvre correctement, l’Europe a de fortes chances d’être un leader dans la prochaine phase de développement de l’économie numérique » ajoute Rayissa.
5 changements dans la réglementation LCB-FT en 2024.
- Un Règlement instituant une nouvelle autorité de LCB-FT au niveau européen (Anti-Money Laundering Authority – AMLA), qui sera localisée à Francfort à partir de 2025. Forte d’un effectif de 400 personnes, elle centralisera les efforts de lutte contre le blanchiment d’argent, coordonnera les autorités nationales et mènera des enquêtes transfrontalières ;
- Une Directive relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour améliorer le dispositif de LCB-FT, abrogeant la 5AMDL (2015/849) actuellement en vigueur :
- Un Règlement relatif à la prévention de l’utilisation du système financier à des fins de LCB-FT, en établissant des règles claires sur les modalités de la coopération entre les cellules de renseignement financiers (Financial Intelligence Units – FIUs) ;
- Une refonte du Règlement (UE) 2015/849 modifié sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains crypto-actifs. Ce règlement (2023/1113) s’applique lorsque l’un des prestataires de services de paiement ou de crypto-actifs impliqués est basé dans l’Union européenne, et inclut des exigences pour les politiques, procédures et contrôles internes pour garantir la mise en œuvre des mesures restrictives ;
- Une Directive concernant l’accès aux registres centralisés des comptes bancaires : Cette dernière met à disposition par les États membres des informations provenant de registres bancaires centralisés – qui contiennent des données relatives à l’identité des titulaires de comptes bancaires et à la localisation de ces comptes – par l’intermédiaire d’un point d’accès unique.
6AMLD : quels sont les changements majeurs ?
Il est important de noter qu’il existe un règlement anti-blanchiment (AMLR) et des directives anti-blanchiment.
L’AMLR se concentre davantage sur les mécanismes de réglementation et de surveillance, tandis que les directives, telles que la 6AMLD, renforcent le cadre pénal de la lutte contre le blanchiment d’argent. Ensemble, ces lois visent à accroître la transparence financière, à rendre plus difficile l’utilisation du système financier à des fins illicites et à garantir une plus grande responsabilisation des personnes physiques et morales impliquées dans le blanchiment de capitaux.
L’AMLR fournit un ensemble uniforme de normes directement applicables dans toute l’UE, garantissant la cohérence des procédures financières et de conformité. La 6ème directive LCB-FT, quant à elle, laisse aux États membres une certaine marge de manœuvre dans l’application des sanctions pénales et des mesures d’exécution, à condition qu’elles soient conformes aux objectifs de la directive. Ensemble, l’AMLR et la 6AMLD forment un cadre cohérent au sein du package AML.
La 6AMLD (ou 6ème directive LCB-FT), entrée en vigueur en décembre 2020, marque une étape cruciale dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Elle innove notamment en apportant de nouvelles dispositions juridiques. Cette directive vise à combler les lacunes des directives précédentes en harmonisant les législations nationales et en proposant de nouvelles dispositions.
Elle élargit la liste des infractions pénales liées au blanchiment d’argent. Face à la diversification des schémas de blanchiment, elle intègre désormais des infractions qui vont au-delà de la simple criminalité financière illégale. Désormais, 22 infractions supplémentaires ont été définies (Article 2 et 3), incluant les crimes environnementaux, fiscaux ou encore la cybercriminalité. La directive encourage enfin les États membres à poursuivre les « facilitateurs », intermédiaires aidant à l’accomplissement d’activités illicites.
La 6AMLD contribue également à améliorer l’effet dissuasif des législations en vigueur, en imposant des sanctions plus sévères. Les États membres de l’UE sont maintenant tenus d’imposer des peines de prison d’au moins quatre ans pour les infractions graves de blanchiment d’argent, avec des sanctions plus lourdes pour les récidivistes. Des sanctions financières importantes sont aussi prévues (jusqu’à cinq millions d’euros pour les personnes physiques), pour priver les fautifs de tout bénéfice tiré de leurs activités illicites.
Une autre grande évolution de cette directive, est l’extension des responsabilités face au blanchiment d’argent. Désormais, les personnes morales peuvent être tenues responsables des infractions de blanchiment d’argent commises par leurs employés. Elles seront donc elles aussi passibles de sanctions sévères, pouvant aller jusqu’à la fermeture de l’établissement ayant commis le crime. Les dirigeants pourront également eux aussi être tenus pour responsables des infractions liées au blanchiment d’argent commises au sein de leur organisation. L’Union européenne réitère ici son souhait d’adopter « des sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives ».
Consciente des problématiques transnationales que posent la criminalité organisée et le blanchiment d’argent, la 6AMLD favorise un échange rapide et efficace d’informations sur les transactions suspectes et les enquêtes en cours, ainsi qu’une entraide judiciaire renforcée pour la collecte de preuves et le gel d’actifs. Elle promeut également la coopération avec les agences européennes spécialisées comme Europol et Eurojust, facilitant ainsi la coordination des enquêtes transfrontalières.
Enfin, la législation contient également des dispositions de vigilance renforcée à l’égard des personnes très riches (patrimoine total d’au moins 50 millions d’euros), à l’exclusion de leur résidence principale), ainsi qu’une limite à l’échelle de l’UE de 10 000 euros pour les paiements en espèces.
6ème directive LCB-FT : les impacts attendus
La mise en œuvre de la 6AMLD entraîne des répercussions importantes pour les entreprises et les institutions financières, qui doivent désormais s’adapter à ces nouvelles exigences. Les impacts attendus de cette 6ème directive sont significatifs, avec un renforcement des obligations pour les entités assujetties et une dissuasion accrue contre les activités criminelles.
De telles dispositions obligent les entreprises à plus d’efforts en matière de conformité. Pour se prémunir contre ces risques, elles doivent plus que jamais adopter des mécanismes et des systèmes de contrôles adaptés, conduire des audits réguliers, et sensibiliser leurs collaborateurs. Cela passe notamment par des investissements dans des technologies avancées de surveillance et d’analyse des transactions, pour détecter les activités financières suspectes de manière proactive. Ces actions sont nécessaires pour protéger l’intégrité de l’entreprise, éviter des sanctions sévères et maintenir la confiance des parties prenantes.
Par ailleurs, de nombreux secteurs – autrefois étrangers à toutes problématiques de conformité – devront prêter un œil attentif à leurs transactions. À titre d’exemple, à partir de 2029, les clubs de football professionnels de haut niveau impliqués dans des transactions financières de grande ampleur, que cela soit avec des sponsors, des annonceurs ou dans le cadre de transferts de joueurs, devront respecter certaines règles en matière de KYC. Comme de nombreux autres acteurs du secteur financier, ils devront eux aussi vérifier l’identité de leurs clients, surveiller les transactions et signaler toute transaction suspecte aux FIUs.
Le futur de la conformité LCB-FT en Europe
Le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme sont fréquemment pratiqués dans un contexte international. Les mesures adoptées au niveau de l’Union, doivent tenir compte de la coordination et de la coopération internationales, faute de quoi elles auront un effet très limité. Elles ont donc pour obligation d’être compatibles avec les actions entreprises au niveau international et être au moins aussi strictes que celles-ci. Dans ce travail de longue haleine, l’Union européenne doit continuer à tenir particulièrement compte des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) et des instruments d’autres organismes internationaux actifs dans la LCB-FT.
Malgré ces progrès au niveau européen, il conviendra cependant de rester vigilant au niveau national. En effet, ce travail législatif de transposition reste parfois lent et des différences d’application notables peuvent apparaître en bout de course.
Pour en savoir plus, découvrez notre article État des lieux LCB-FT en Europe, quelles sont les solutions KYC disponibles ?
Le processus KYC dans le secteur bancaire
Par
Mallaury Marie
Content Manager chez IDnow
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